REVIEW

Nightmare Busters

SUPER NES

RÉDACTION : HYDCLOUD · 3 MARS 2014

INFOS

DÉVELOPPEUR

Arcade Zone

ÉDITEUR

Super Fighter Team

GENRE

Action

NOMBRE DE JOUEURS

2

SORTIE MONDIALE

23 décembre 2013

Youhouuuuuu… Y'a quelqu'un ? Et mon jeu, vous me l'envoyez quand hein ? Ben oui, c'est quand même 56 boules et ça fait trois ans que j'attends… Remboursé ! Tel est le genre de discours qu'il nous a été permis de voir ces derniers mois avant l'annonce officielle de la Super Fighter Team, cette fois-ci décidée à lancer la distribution de Nightmare Busters. Et il se sera fait attendre le freluquet !

Le cas de Nightmare Busters est aussi intéressant sur le fond que sur la forme… Peu de gamers ne peuvent se souvenir de l'apparition furtive de ce run and gun dans nos pages de previews (Consoles + 35, septembre 94 !) mais aussi à l'occasion d'un article spécialement consacré à l'équipe chargée de son développement, Arcade Zone (Consoles + 33, juin 94) et pourtant, nul ne pouvait s'imaginer à quel point cette petite page de rien du tout allait faire parler d'elle vingt ans plus tard…

Nous sommes en effet en pleine période de l'âge d'or des 16 bits et, si nous devions plus précisément nous concentrer sur la Super NES, à l'heure où des petits softs sans prétention comme Super Metroid, Earthworm Jim, Secret of Mana ou Donkey Kong Country d'apprêtent à tout exploser... D'autant plus que le futur se préparait déjà au pays du Soleil Levant avec l'arrivée de la Saturn et de la PlayStation en fin d'année. Il n’est donc pas étonnant que Nightmare Busters n’ait pas suscité de l’attention qu’il méritait, caché au beau milieu de ce troupeau de mammouths. Et pourtant, le soft du défunt Christophe Gayraud (alias Crisse), programmeur attitré chez Arcade Zone avait tout pour lui !

Arcade Zone… Voyons voir… Mais oui ! Legend, Iron Commando… Cette boite de développement, non seulement française (Cocoricoooooo !) mais aussi spécialisée dans le Beat’em All, un genre que connait très bien la 16 bits du père plombier ! Ex-employé chez Titus, Gayraud avait en effet fait ses valises pour Londres (siège social d’Arcade Zone) pour prêter main forte à une équipe de programmeurs ambitieux, qui désiraient créer un jeu dans la même trempe que le célèbre Three Wonders, jeu d’arcade sorti en mai 1991 sur le CPS-1 de Capcom.

Après des mois de travail acharné, le soft sera annoncé en juin 1994 mais il ne sera néanmoins pas prêt avant 1995, c'est-à-dire bien trop tardivement pour les éditeurs indépendants qui préfèrent investir chez Sony et Sega, lesquels viennent à peine de lancer leur machine 32 bits respective au Japon…

Acclaim et Nichibutsu seront sur le coup mais préfèreront s’abstenir de tout risque, laissant Christophe « Crisse » et Arcade Zone en plan et les laissant à leur triste sort, à savoir la mise de la clé sous la porte après essoufflement économique… Mais le bonhomme aura tout de même le réflexe de récupérer les droits de son œuvre avec que celle-ci ne passe aux oubliettes ! Les années passent et Crisse fait sa petit vie, voyageant de boites en boites, réduit au simple statut de salarié, la plupart du temps appelé pour des projets qui seront abandonnés. Il aura l’opportunité de travailler sur des best-sellers comme l’adaptation de Flashback sur Game Boy Advance (qui ne verra jamais le jour non plus !) pour le compte de Delphine Software.

Néanmoins, c’est en parcourant le monde que l’on fait des rencontres et Crisse croisera la route de Philippe Dessoly et Mickaël Pratali avec lesquels il fonde la société Otaboo. Nous sommes en 2003 et ces trois mousquetaires sont attirés par les mobiles, un marché qui leur semble très rapporteur. Bien que n’étant qu’à ses débuts, l’industrie des jeux mobiles voit sa popularité monter en flèche, ce qui arrange bien nos lascars qui proposent alors divers produits dont Snoozz, un puzzle game qui ne tardera pas à révéler ces trois talents mais surtout à leur permettre de voir plus grand : le développement sur Nintendo DS et Wii en 2006 !



Alors, pourquoi vous narrer le parcours de Christophe Gayraud me direz-vous… Loin de moi l’idée de vous raconter les exploits de chaque développeur à l’origine d’un soft, il est important de comprendre comment un projet abandonné tel que celui-ci a pu soudain renaître de ses cendres. Crisse, lors de son pèlerinage chez les développeurs locaux, a eu l’occasion de croiser la route d’Eric Thommerot, recruteur chez Kalisto Entertainment. Les deux hommes ayant vite fait de sympathiser, Crisse lui confiera alors le code source de Nightmare Busters avant qu’il ne quitte la boite un an plus tard.

Le temps passe et Thommerot profite de son temps libre pour adapter le jeu sur support mobile, le renommant ainsi « Flynn’s Adventures ». Il ne faudra pas longtemps pour que la ROM du jeu soit récupérée sur le net et dumpée par de petits malins mais le destin ne s’arrêtera pas là… Nous sommes en 2010 et le jeu refait subitement surface. Il sera dévoilé au grand public lors de diverses occasions, notamment pendant la Retro-gaming Connexion 2010, via l’association Past Game Rebirth ou encore l’émission Retrovision, programme proposé par le célébrissime site MO5.com. En 2012 Brandon Cobb, président de Super Fighter Team, une société spécialisée dans le développement, la production et la distribution de jeux old school tombe né à né avec le jeu ! Ni une ni deux, Cobb cherche à remonter à la source du projet et contacte alors d’Eric Thommerot qui le met en relation avec Christophe Gayraud.

L’accord est signé : la Super Fighter Team acquiert les droits d’exploitation de Nightmare Busters et annonce sur son site la commercialisation officielle de ce killer app que l’on pensait enterré depuis vingt ans ! Bien que Nightmare Busters soit disponible depuis belle lurette de manière « non officielle » avec l’apparition d’une multitude de cartmods liées à la libre circulation du dump, Cobb aspire néanmoins à sortir un produit authentique, d’autant plus qu’il là s’agit du tout premier titre Super NES pris en charge par la société... Autant dire que les attentes concernant l’ex-soft d’Arcade Zone sont énormes, la Super Fighter Team n’a donc pas droit à l’erreur !

Cette cartouche, que Cobb annoncera all zone, sera dans un premier temps distribuée de manière très restreinte. En effet, seules 600 exemplaires seront disponibles en précommande… Le hic, c’est que le distributeur accumule les projets annexes. Cobb n’a alors d’autre choix que de stopper purement et simplement les précommandes, ce qui est légitime… Le PDG de la Super Fighter Team ne tenant spécialement pas à mettre en rayon un produit bâclé. Malgré les différents mails d’insultes et autres pétitions des plus impatients, Brandon Cobb serrera les dents jusqu’au bout mais un drame inattendu calmera aussitôt cette horde de fanatiques…

Nous sommes le 10 avril 2012 et le monde vidéoludique apprend une bien triste nouvelle : Christophe Gayraud s’est éteint à l’âge de 46 ans d’un arrêt cardiaque… Le papa de Nightmare Busters (mais pas que…) s’en est allé et une avalanche de gamers le pleurent. Un grand nom du jeu vidéo nous quitte et Brandon Cobb ne tarde d’ailleurs pas à communiquer ses condoléances sur le site de la Super Fighter Team et ce, quelques mois après la publication d’un communiqué stipulant le nombre peu conséquent de cartouches produites et le prix officiel du bouzin : 70 $ (soit 56 €).

Et nous y voilà enfin… Septembre 2013, après nombre de péripéties et toutes ses années dans l’ombre, la Super Fighter Team relance enfin les précommandes de Nightmare Busters qui sera dispatché à travers le monde dés décembre. « Merci pour votre patience ! ».

Outre l’attente de « l’objet » en lui-même mais aussi le plaisir d’acheter une nouvelle cartouche officielle et physiquement exploitation sur nos consoles de 1992, nous étions déjà tous au courant des qualités intrinsèques du soft d’Arcade Zone qui était prêt à 97 % avant même les folles rumeurs de sa résurrection. 

Bien qu’il s’agisse d’un simple run and gun, Nightmare Busters nous propose un contexte narratif assez original et peu banal. Vous incarnez deux Leprechauns, des petits êtres issus du folklore irlandais et souvent confondus avec les lutins ou les farfadets. Au-delà même de leur origine, le style vestimentaire de Flynn (en violet) et de Floyd (en jaune) ne laissera pas indifférents les grands rejetons que nous sommes. Directement inspirés du Chapelier Toquet d’un célèbre conte pour enfant signé Lewis Carroll, et par la suite adapté par Disney en 1951, ces deux « Chasseurs de Cauchemars » ont pour mission de nettoyer la racaille qui hante les rêves des enfants. Trolls, Gobelins, Gnomes et dans une autre mesure Lyncanthrope et Orc  ne sont que quelques exemples des créatures horrifiques et mythologiques que vous aurez à affronter.

C’est à travers cinq stages variés et tout à fait dans le ton de l’aventure (un village enflammé, une forêt noire, une caverne, un château sinistre…) que nos Nightmare Busters vont devoir passer le Kärcher. Une atmosphère froide et lugubre, le soft d’Arcade Zone n’est pas avare dans son background, d’autant plus qu’il propose des situations à la hauteur de ce qu’on est en droit d’attendre de lui ! Entre les tombées de boules de lave, le dévalement des rochers, l’embrasement des poutres et autres joyeusetés… Outre les classiques phases de plates-formes survitaminées, Flynn et Floyd devront faire faire à divers obstacles qui, autant être clair, seront pour la plupart inévitables à moins de connaître le jeu sur le bout du pad !

Par ailleurs, bien que Nightmare Busters propose un challenge très coriace sur le fond avec son artifice de pièges en tout genre, les deux Leprechauns devront également se défendre face à une véritable armée de démons. Le jeu offre en effet un rythme soutenu du début à la fin. Ça explose dans tous les sens, vos ennemis déboulent de partout, du blast en veux-tu en voilà… Dans la pure tradition du genre, Nightmare Busters est construit sur mesure pour le gamer en manque d’agressivité !

Adeptes de Turrican, Contra/Probotector, Alien Soldier et autre Gunstar Heroes, ce soft ne peut faire autrement que de vous combler… Afin de se débarrasser des vilaines créatures, Flynn et Floyd devront mettre à profit leurs différents pouvoirs et faire parler non pas la poudre mais… Les cartes ! Au-delà même du panel de mouvements du run and gun traditionnel (sauter, glisser, s’accrocher aux plates-formes, foncer sur l’ennemi à l’aide du dash…), nos deux compères ont en effet plus d’une carte sous leur manche et s’apparentent d’avantage à des magiciens qu’à des tireurs d’élite.

Disposant d’un stock illimité de tarots, ceux-ci peuvent être lancés dans trois directions différentes à savoir de front, en haut et en bas (après avoir effectué un saut). Bien entendu, des upgrades forts sympathiques viendront booster votre arsenal à travers les tonneaux, caisses et coffres que vous aurez moult fois l’occasion de croiser.

Ainsi, Flynn et Floyd verront non seulement leur capacité destructrice décuplée, avec à disposition des cartes enflammées, le double tir voire même des boules d’énergie (ces deux dernières, bien que dévastatrices, sont désavantagées par leur cadence de tir), mais ils auront également la possibilité de lancer des sorts très efficaces. Au nombre de trois (le tourbillon, l’explosion et le lancé de disque) et dans la plus grande tradition des beat’em all, ces incantations n’ont d’autre but que de dépoussiérer l’écran de toutes les horreurs qui croiseront votre chemin. Cependant, tout serait si simple si ces pouvoirs spéciaux pouvaient être sollicités à loisir !

Nos deux Leprechauns ont en effet un stock peu conséquent de ces attaques, lesquelles pourront être renflouées soit en collectant des items « magie » dans les conteneurs (caisses, coffres…), soit en… Perdant une vie ! En effet, une petite quantité de ces sortilèges vous sera rendue après avoir utilisé un crédit supplémentaire suite à un Game Over et croyez-moi, ces derniers s’accumulent très vite… Le soft fait en effet preuve d’une difficulté redoutable et on serait même amené à penser qu’Arcade Zone n’a pas choisi le titre de son jeu par hasard…  Véritable cauchemar vidéoludique, Nightmare Busters est taillé pour le hardcore gamer ! Comme je le disais plus haut, s’il est humainement exclu d’éviter les foudres de la flore, il faudra également compter sur la faible résistance de votre protagoniste.

Les développeurs ont en effet jugé bon de réitérer le syndrome « Ghots’n Goblins/Ghouls’n Ghosts » en supprimant purement et simplement la jauge de vie, élément pourtant commun à ce type de soft ! Deux coups… Seulement deux coups vous suffiront à vous envoyer « ad patres » et à perdre une précieuse vie. C’est peu, très peu… D’autant plus que vos ennemis ne vous laisseront aucun répit ! Ici, hors de question d’attendre sagement que vos assaillants soient éradiqués de l’écran étant donné qu’ils attaquent en masse et de manière constante ! Il vous faudra donc avancer à outrance si vous ne voulez pas vous retrouver en plein milieu d’un guet apens…

Riche, varié et difficile… Trois données qui flattent le run and gun d’Arcade Zone, mais qu’en est-il de sa réalisation ? Une fois n’est pas coutume, les programmeurs ont fait un travail d’orfèvre. Nightmare Busters peut en effet se targuer d’être l’un des jeux les plus aboutis de la Super NES ! C’est d’autant plus frustrant que sans son annulation en 1995, il n’aurait pas eu de grosse difficulté à se retrouver techniquement en haut du panier !

Le soft nous éblouie par ses sprites gigantesques (et même parfois exagérés provoquant quelques soucis de lisibilité) et par son atmosphère unique et si particulière. Le level design emprunté par le titre fait mouche et parvient à retranscrire avec brio un climat d’inquiétude malgré son contexte enfantin. Impossible également de ne pas succomber à la direction artistique du titre qui hérite de magnifiques illustrations entre chaque level mais aussi d’un background qui respire la minutie, synonyme d’un travail de très longue haleine. Qui plus est, Nightmare Busters encaisse sans broncher ses ambitions !

Peu importe le nombre d’assaillants et d’éléments affichés à l’écran (effets, explosions, projectiles…), le soft d’Arcade Soft fait preuve d’une fluidité exemplaire et ce, additionnée par la cadence infernale de l’action ! Un rythme que l’on pourrait néanmoins contester par la lenteur des déplacements de nos protagonistes, les temps de chargement parfois inexplicables d’un écran à l’autre ou encore le manque d’innovation au terme de l’aventure avec, par exemple, le recyclage des boss…

Malgré ces petits bémols qui font triste figure face à tant de qualités, Nightmare Busters ne pêche que par son retard… Après plus de vingt ans caché dans l’ombre, ce run and gun nous dévoile enfin ses armes, capables d’inquiéter sans problème les ténors du genre sur la 16 bits de Nintendo ! Magnifique à plusieurs titres, nerveux et difficile, Nightmare Busters s’avère comme un indispensable pour les gamers et les collectionneurs et ce, malgré un packaging qui est loin d'avoir fait l'hunamité lors des premières réceptions des précommandes.

Reprenant le visuel des boites américaines de jeux Super NES (ce qui est légitime compte tenu des origines de son distributeur), Nightmare Busters a déçu bon nombre d’impatients qui étaient en droit d’attendre beaucoup mieux d’un jeu qu’on leur promettait depuis plus d’un an… Le collectionneur forcené étant très à cheval sur le visuel, la mise en forme et l’authenticité de ses boites, on peut dire que la Super Fighter Team a énormément contrarié son audience. Illustration frontale de la boite sobre et simpliste, très peu d’informations inscrites à l’arrière, deux ou trois fautes d’orthographes dans le livret…  Pour le coup, on serait même amené à se demander si le packaging des cartmods n’est visuellement pas supérieur à ce que nous propose la Super Fighter Team.

Le distributeur américain en a d’ailleurs profité pour remplacer le logo « Super Nintendo » par une mention « 16-Bit Video Game » qui  s’avère très proche typographiquement de l’original. Légitime, dans la mesure où les producteurs du soft n’ont vraisemblablement pas eu l’accord nécessaire pour la création d’un produit officiel et que l’utilisation du logo original entrainerait irrémédiablement le versement d’une petite commission en faveur de Nintendo of America ! Hormis cet obstacle juridique, il est clair que Nightmare Busters était en droit d’espérer un traitement beaucoup plus adapté à ses qualités intrinsèques, d’autant plus que le jeu a subi deux ou trois modifications en interne par rapport à la ROM originale comme la rapidité accrue et la résolution légèrement rehaussée.

Le plastique de la cartouche fait cheap, mais la Super Fighter Team a eu le bon goût d’adopter une coque PAL, qui s’adapte à la perfection sur n’importe quel type de Super NES (européenne, américaine et japonaise).  À noter également la présence d’une dédicasse gravée sur le PCB à la mémoire du regretté Crisse : « Dedicated to Christophe ».


Alors… Pour les mauvais élèves, qu’attendez-vous pour vous le précommander que diable ? Avec Nightmare Busters, la Super Fighter Team fait bien plus que de nous proposer officiellement un soft exceptionnel, elle nous offre l’une des rares opportunités d’acquérir un jeu neuf pour un prix abordable (80 $) sur ce support. Véritable hommage au genre run and gun et à son créateur, Christophe Gayraud, cet objet tant attendu par les passionnés de oldies a beau faire preuve d’imperfections sur la forme, nul ne pourrait contester ses qualités ludiques exceptionnelles !

Peut-être reste-t-il quelque part d’autres projets abandonnés de cet acabit, qui ne demandent qu’à être révélés au grand jour ? Il faut oser l’espérer, ne serait-ce que pour préserver ce patrimoine que nous aimons tant !

AndJoy !