REVIEW

ATARI Jaguar CD

ATARI

RÉDACTION : HYDCLOUD · 24 JANVIER 2014

INFOS

FABRIQUANT

Atari

GÉNÉRATION

5

MÉDIA

Disque optique (CD)

SORTIE EUROPÉENNE

Décembre 1995

« Il est déjà trop tard… Trop tard pour tous les deux… ». Les plus jeunes d'entre vous ne pouvez pas connaître ce tube chanté par Frédéric François et pourtant le bougre n'avait pas tord : annoncé et attendu depuis plus d'un an par le grand public, le Jaguar CD ne fera que repousser l'inévitable pour Atari et sa 64 bits : une agonie longue et cruelle… Comment ça Frédéric François n'a pas chanté ça pour Atari !?

Voyons voir, nous sommes en septembre 1995… La Saturn est disponible au Japon depuis presque un an et vient d'être commercialisée en France, le mammouth PlayStation, lui aussi sorti au pays du soleil levant annonce son arrivée chez nous pour les fêtes de fin d'année…

Dire que les choses auraient pu être différentes si Atari n'avait pas repoussé la sortie de cet add-on de la dernière chance…

Été 1994, alors que l'Atari Jaguar, disponible depuis sept mois, peine à décoller faute d'un manque indéniable de titres de qualité, les pages de previews de nos canards préférés nous démontrent que le géant américain ne se laisse pas abattre pour autant en corrigeant l'un des défauts majeurs de conception de sa machine : la sortie d'un lecteur CD-ROM ! Nous sommes à la grande époque des add-on et toutes les grosses industries s'y collent ! « Non mais allo ! Si ta console n'a pas son extension, t'es trop honteux t'as vu… ».
Par ailleurs, ce ne sont pas Sega (Mega/Sega CD, 32X), ni Nintendo (le mort/né Super Famicom CD-ROM Adapter, 64DD...) ni même NEC (CD-ROM², Super CD-ROM², Arcade CD-ROM²) qui me contrediront !

Il faut dire aussi qu'Atari avait fait un très mauvais calcul : sortir une machine basée sur l'antique port cartouche était clairement un handicap à l'heure où le CD-ROM, média du futur, s'imposait clairement comme un standard ne serait-ce par l'espace de stockage, l'introduction de cinématiques, les coûts de fabrication…

3DO, Pippin, Playdia, CD-i, Neo-Geo CD… Outre les ténors de l’industrie, même les boites qui voulaient tenter leur chance ont signé pour intégrer un lecteur CD-ROM de base dans leur machine… Atari, le couteau sous la gorge, se devait donc de réagir face à cette menace ! Le Jaguar CD étant annoncé durant l’été 1994 par la presse, on aurait alors pu s’attendre à une sortie imminente mais Atari nous fera languir pendant un an, délai plus que confortable pour Sega et Sony qui leur permettra de s’installer tranquillement et de bouffer quelques parts de marché au passage…

La Jaguar étant une déception à elle seule, la puissance brute (sur le papier j’entends…) et les deux ou trois excellents jeux sur cartouche qui sortiront entre temps n’arriveront plus à calmer les ardeurs du public qui voit en Sega et Sony un avenir bien plus radieux…

Septembre 1995, le Jaguar CD arrive pépère sur le marché international et est déjà très compliqué à se procurer chez nos revendeurs dans nos contrées (stock très limité) ! Pour la somme très convenable de 150 $, Atari nous vend du rêve avec la disponibilité immédiate de Myst, Highlander : The Last of the MacLeods (clone avoué du maître Alone in the Dark) et les deux ou trois démos technologiques justifiant l’apport du CD-ROM sur la petite 64 bits… Il est clair que le bouzin a du potentiel mais encore une fois… À quel prix pour les développeurs ?
On prend les mêmes et on recommence ! Très peu de titres sortiront sur la bécane, la faute à deux ou trois bourdes dont seul Atari connait le secret… Au-delà même d'une disponibilité plus que tardive, le Jaguar CD est en effet une véritable plaie à programmer et effectivement, comme indiqué derrière la boite : « Les lecteurs CD ne naissent pas tous égaux ».

Doté d’un moteur double vitesse (le standard actuel), le Jaguar CD se présente sous la forme d’un add-on venant se greffer à la perfection sur le port cartouche de la Jaguar, l’arrondi de la coque supérieure de la 64 bits étant en parfaite harmonie avec la forme du champignon, à tel point qu’il m’a été difficile de déclipser l’engin une fois installé (c’est comme si Atari avait prévu la forme des deux machines bien avant leur disponibilité sur le marché…). Et c’est tant mieux, car au-delà même de proposer un résultat visuel très agréable, les ingénieurs d’Atari ont également pensé à ajouter un port cartouche derrière le lecteur CD, question pratique afin d’éviter de séparer sans cesse le Jaguar CD de sa grande sœur…

Le côté visuel, ça a toujours fait vendre mais il est nécessaire de se pencher sur le côté technique de la bête et ainsi comprendre ce qui pouvait rebuter les codeurs kamikazes voulant se pencher sur le sujet…

Atari aime ne rien faire comme les autres et nous le prouve une fois de plus ici… Alors que pratiquement toutes les machines concurrentes ont opté pour une norme standard (ISO-9660) concernant la structure logicielle (système de fichiers) des CD (une partie données/datas et une partie audio), Atari, lui, décide une fois de plus de torturer les programmeurs en décidant d’adopter exclusivement la norme audio !
Pour résumer la chose, l'accès à chaque information ne se fera non pas sur des secteurs de données brutes mais sur un tracking audio ! La localisation des datas étant alors sujet à un véritable casse tête car accessibles non pas sur une adresse spécifique mais sur le timing du CD (heure/minute/seconde), comme si le Jaguar CD allait chercher une musique plutôt qu'une donnée !

Bien que cette norme propriétaire permette à Atari de stocker d'avantage d'espace (790 Mo pour un CD audio et 650 Mo pour du data) et qu'elle limite pour le coup les pratiques « frauduleuses » (comprenez la copie), les premiers kits de développement livrés par le géant américain se résumeront à un Gloubi-boulga sans nom et ne donnera clairement pas envie aux développeurs !

Pour bien faire, les cinématiques de jeux Jaguar CD utiliseront un codec spécifique qu’Atari a racheté à SuperMatch, division d’Apple, également utilisé par d’autres supports tels que le Sega/Mega-CD, la 3DO et la Saturn. Qui dit Apple dit forcément Mac pour l’encodage des vidéos, certes, mais les programmeurs devront faire preuve de ténacité avec un kit de développement constitué en plus d’une Jaguar Custom, d’un Falcon et d’un PC ! De telles contraintes de production n’ont fait que rebuter les sociétés… Mais qui peut leur en vouloir ?
C'est un fait, le Cinepak, bien que demandant pas mal de ressources à la machine, donne de bien meilleurs résultats que l'antique MPEG-1, d'autant plus que les cinématiques sont ici affichées en VGA (640x480) donnant un rendu visuel bien plus confortable que la concurrence… Mais à quel prix ?

Le Cinepak demande en effet énormément de mémoire, ne laissant pas beaucoup de laps aux programmeurs pour coder l'essentiel : le jeu en lui-même… Nous retomberons alors dans la configuration classique des softs bourrés de belles cinématiques mais inintéressants ludiquement parlant…

Cette saturation d’espace engendra alors inévitablement l’emploi d’une carte mémoire externe pour la sauvegarde de ses parties à l’heure où la Saturn voire même le Sega/Mega-CD peuvent se passer d’un tel accessoire (la PlayStation ne sera également pas épargnée par le phénomène)… Un coût supplémentaire pour l’acheteur, la facture de l’ensemble commence à piquer vu le nombre de softs (de qualité) disponibles !

Lecteur CD oblige, le Jaguar CD embarquera un petit programme dans sa ROM interne afin de pouvoir lire des CD audio classiques (encore heureux !) : le VLM (pour Virtual Light Machine).
Développé par le talentueux (et au combien original) Jeff Minter himself, ce player génèrera des figures géométriques modulables en fonction du rythme de la musique ! C'est assez bien foutu à l'écran et ça apporte un brin de concept derrière ce vide intersidéral…


Que dire sur le packaging global du félin… Livré avec trois softs dont une démo à savoir Vid Grid (une sorte de puzzle game consistant à assembler les pièces d’une… Vidéo !), Blue Lightening (un shmup qui n’est là que pour montrer ses séquences cinématiques impressionnantes mais ludiquement à la ramasse…) et la démo de Myst, l’un des seuls jeux justifiant l’achat de la machine, le Jaguar CD sera également fourni avec la bande son CD de Tempest 2000 (c’est attentionné mais inutile…).
À l’instar de son ainée, le Jaguar CD sera commercialisé à l’échelle internationale et habillé d’un bundle identique que ce soit aux USA où en Europe (multilingue). De ce fait, il m’est impossible de savoir si le fonctionnement de ce add-on est dépendant du signal PAL/NTSC de la Jaguar où s’il dispose de son propre signal vidéo… Cela reste encore un mystère en ce qui me concerne (et c’est rageant grrrrr…).

D'autant plus que la norme si particulière des jeux pressés pour cette machine incite un déplacement de la lentille assez constant ce qui résulte de devoir remplacer celle-ci très fréquemment (il n'y a qu'à constater le nombre de machines inutilisables vendues sur Ebay !).

Au final, le constat est sans appel : si Atari avait déjà mis un premier pied dans la tombe avec sa Jaguar, le Jaguar CD poussera le géant américain à y sauter les deux pieds joints et malgré toutes ses bonnes intentions (annonces de softs dont le développement sera abandonné par la suite ou terminé que bien plus tard par des développeurs indépendants, politique de relances marketing…), rien ne sauvera le couple sauvage Jaguar/Jaguar CD de son funeste destin (ni même son concepteur). Seuls seize jeux, oui vous avez bien lus, seront au final commercialisés officiellement sur la machine d’Atari avant que la société ne mette la clé sous le paillasson un an plus tard…

Fort heureusement, des adeptes de la machine continueront à maintenir en vie ces deux supports vingt ans plus tard (Full Circle : Rocketeer, Impulse X…).

L’achat de cet objet hors du commun m’a par ailleurs posé un gros problème ! La machine ayant fait un flop aux USA et pratiquement passée inaperçu chez nous, je savais d’avance à quoi m’attendre lorsque je m’étais lancé dans cette quête improbable !
Certainement l'une des machines les plus rares de ma collection, le Jaguar CD, dans sa version complète, est aussi inutile qu'introuvable. La bête se négocie en effet cher, très cher, que ce soit sur Ebay ou ailleurs sans compter le fait qu’à l’instar du Multi-Mega de Sega, la lentille du lecteur CD est très capricieuse au fil des années… Mettons-y encore plus de piquant et ajoutons le respect de la norme PAL bien de chez nous…

Un nombre de paramètres conséquent, qu’il me fallait prendre en considération, certes, mais comme tout espoir est permis dans l’univers du Retrogaming, la patience a fini par porter ses fruits pour une occasion qui s’est avérée unique : la vente aux enchères d’une machine neuve en France !

Bien entendu, occasion inespérée rime très souvent avec porte monnaie… L'achat de la bête m'a effectivement fait très mal, mais nul n'est sensé ignorer la loi du sacrifice dans cette jungle sans merci !

AndJoy !